par Camille OOSTWEGEL, Consul honoraire de France à Maastricht, Membre d’Honneur du Comité de France
Depuis des temps immémoriaux, la connaissance de la langue française était l’un des signes distinctifs des classes sociales supérieures aux Pays-Bas. Le français était promu comme la langue de travail de la diplomatie internationale et comme la langue véhiculaire de la culture. Sans cette connaissance, les classes moyennes avaient peu de chances d’accéder à des postes importants dans le pays. Bien que la maîtrise de l’anglais et de l’allemand fût également encouragée pour des objectifs commerciaux, jusqu’à la fin des années 1960, ce multilinguisme faisait partie intégrante de la réputation internationale des Néerlandais.
Pendant les décennies suivantes, l’intérêt pour la culture française et la connaissance du français ont subi une rétrogradation dramatique, au profit presque exclusif de l’anglais. Ce changement fut la conséquence de la domination du monde anglo-saxon, notamment transatlantique, dans l’économie, la politique et la culture mondiale. Ce processus a été renforcé par la liberté partielle dans le choix des matières enseignées, introduite dans le cadre de la réorganisation du système scolaire en 1968 pour faciliter l’accès de tous à l’enseignement secondaire.
Guidée par le pragmatisme et l’égalitarisme, la Hollande, qui est le centre économique, politique et culturel du pays, a découragé l’apprentissage du français, perçu comme difficile voire élitiste. Il est indéniable qu’actuellement, selon les estimations de l’Institut néerlandais de Paris, moins de Néerlandais étudient le français que de Français étudiant le néerlandais.
Par conséquent, les écoles aux Pays-Bas rencontrent la plus grande difficulté à recruter des professeurs de français qualifiés. Ce même phénomène s’applique encore davantage à l’allemand, qui a perdu en popularité pour des raisons historiques bien connues. Le creux de la vague fut atteint dans les années 1990, lorsque qu’un ministre proposa de faire de l’anglais la seule langue véhiculaire dans tout l’enseignement supérieur. Les protestations furent nombreuses, non seulement parmi les universitaires mais aussi dans toute la société. Il s’est avéré impossible de détrôner cette langue, aussi ancienne que l’anglais ou le français et parlée par plus de 22 millions de citoyens européens. Avec le recul, cet événement pourrait être considéré comme un tournant positif, une prise de conscience culturelle liée à la réaction négative contre la mondialisation, l’instabilité politique post-11 septembre 2001 et l’introduction de l’euro (cf. le « non » de la majorité des Néerlandais au projet de constitution européenne). Mais cela n’explique pas le nouvel intérêt pour les langues des pays voisins, dont le français.
Depuis l’intégration de l’anglais dans l’enseignement primaire en 1996, les écoles primaires ont également eu le droit d’offrir l’allemand ou le français depuis 2005. Auparavant, chaque école devait obtenir l’autorisation du ministère de l’Éducation nationale pour enseigner ces deux langues.
Aujourd’hui, un nombre croissant d’écoles propose l’apprentissage des langues étrangères dès la maternelle. Cependant, en raison d’un nombre insuffisant de professeurs qualifiés, toutes les écoles secondaires ne sont pas en mesure d’accueillir ces élèves. Contrairement à l’enseignement traditionnel, axé sur la grammaire, l’histoire culturelle et littéraire, l’accent est aujourd’hui mis sur l’expression orale et des sujets intégrés à l’univers mental des jeunes. Cela signifie que l’enseignement des règles grammaticales et du vocabulaire est intégré à des thèmes pratiques.
Aux Pays-Bas, l’anglais, l’espagnol, l’arabe et le chinois sont considérés comme des langues globales, reléguant le français au second plan. Toutefois, l’ancienne ministre néerlandaise de l’Éducation nationale, Mme Maria van der Hoeven, a réussi à corriger cette vision réductrice : « En accordant priorité à d’autres aspects, nous prenons en compte les dimensions économiques, géographiques et culturelles. Ces trois éléments renforcent l’attention, non exclusive, portée aux langues de nos voisins directs, l’allemand et le français. »
Une enquête récente à l’échelle nationale a montré que ces deux langues suscitent un vif intérêt parmi de nombreux collégiens et lycéens, obligés jusqu’à l’âge de 16 ans d’apprendre l’une des deux, en plus de l’anglais. L’augmentation de la mobilité et des ressources financières, ainsi que l’Union européenne, font que la France est plus proche que jamais. Les entreprises et les étudiants bénéficient de cette proximité, certains suivant une partie de leurs études dans un environnement francophone. De plus en plus d’enfants entrent en contact avec la langue française grâce à des « visites éclairs » à Paris et à des vacances en France.
On observe également une augmentation de l’intérêt pour le français grâce aux contacts avec le monde musulman africain, la France étant traditionnellement la porte d’entrée. Avec l’afflux récent d’immigrés musulmans, les Néerlandais, surtout les jeunes, découvrent de nouveaux points communs avec la France, transmis à travers les discussions politiques et culturelles ainsi que par la littérature et la musique francophones. L’enquête susmentionnée reconnaît cette nouvelle tendance en recommandant que chaque école primaire offrant le français devrait avoir un professeur francophone. Ce sont en effet les francophones qui peuvent transmettre aux élèves et aux étudiants les subtilités de la langue, des connaissances supplémentaires et des perspectives différentes.
Des programmes d’échange avec des écoles à l’étranger sont également proposés, que ce soit de manière traditionnelle ou par des conférences via Skype. Cependant, le système scolaire néerlandais laisse à chaque école une certaine liberté dans le choix des matières, sous réserve de respecter les critères du ministère. La mise en œuvre de ces échanges dépend souvent de divers facteurs, tels que l’ambition internationale de l’école ou l’enthousiasme personnel pour le français parmi les enseignants.
En revanche, dans la région frontalière néerlandaise, notamment dans le Limbourg méridional, cette démarche est structurée et soutenue. Par exemple, le projet Carolingua, financé par l’Eurégio Meuse-Rhin, permet aux écoles primaires néerlandaises d’établir des partenariats avec des écoles au-delà des frontières linguistiques et d’embaucher des professeurs étrangers. À Maastricht, trois écoles primaires emploient déjà un professeur francophone à temps partiel, et d’autres écoles envisagent de participer, comme le souligne le coordinateur régional du programme européen Languages & Borders, qui met en pratique depuis 2006 les connaissances acquises lors du projet européen Cicero.
La proximité avec l’espace francophone constitue un avantage considérable pour les Limbourgeois. Contrairement à leurs compatriotes du nord du pays, ils sont habitués à la présence de francophones depuis longtemps. De plus, les dialectes de la région, appelés bas-francique par les linguistes et issus de l’ancienne langue de l’époque de Charlemagne, comportent des éléments empruntés au français. Maastricht occupe une position spéciale dans ce contexte, étant la seule commune néerlandaise limitrophe de la francophonie et bénéficiant d’un accès direct par autoroute et train à des villes comme Liège, Bruxelles et Paris.
Bien que l’ancien caractère bilingue français de Maastricht appartienne au passé depuis la « hollandisation » de la ville à partir de la création d’une université au début des années 1970 et de la crise économique contemporaine en Wallonie, la fréquence des courtes visites dans cet arrière-pays a augmenté grâce à la mobilité croissante. De plus en plus de Néerlandais s’installent de l’autre côté de la frontière, attirés par des prix immobiliers plus abordables en Wallonie, créant ainsi une nouvelle nécessité de communication avec les francophones, souvent monolingues.
Malheureusement, la situation des médias est plutôt dramatique. Depuis que la diffusion des chaînes de télévision est entre les mains de puissants exploitants commerciaux, les chaînes francophones sont rarement proposées aux téléspectateurs néerlandais. Actuellement, seul TV5 est inclus dans le forfait de base, alors que la RTBF (et uniquement La Une) était accessible jusqu’à récemment. Malgré les protestations, cette décision est restée inchangée, et le conseil de programmation représentant les consommateurs a fini par démissionner.
Malgré toutes ces difficultés, on peut dresser un constat prudemment optimiste quant à la position du français aux Pays-Bas. Cependant, la réalité est bien différente de celle du passé, où le français était considéré comme la langue véhiculaire de la haute culture et de la diplomatie. Avec l’évolution de la notion même de culture depuis les années 1960, l’accent est aujourd’hui mis sur la communication quotidienne et fonctionnelle. Le principal défi réside dans le faible nombre de professeurs qualifiés. En revanche, dans le Limbourg méridional, la situation est nettement plus positive, les écoles de cette région ayant la possibilité d’embaucher des professeurs francophones grâce au soutien financier de l’Europe.