par S.E. Jacques CHASTEAU de BALYON, Ambassadeur de la République de Maurice
Bernardin de Saint-Pierre disait de l’Isle de France qu’elle était une de ces îles tropicales « couchées sur les flots telles des Néréides, versant de leurs urnes des ruisseaux d’eaux fraîches dans la mer ». L’île Maurice, autrefois l’Isle de France, a certainement gardé une dose de fraîcheur exotique – son tourisme d’ailleurs s’en inspire – mais s’affiche plutôt aujourd’hui comme une République multiculturelle et industrielle utilisant plusieurs langues, dont le français pour mieux assurer son développement économique. Dès les débuts de la colonisation au XVIIIe siècle, l’Isle de France n’était pas tout à fait française. Elle devint très vite à moitié africaine, métissée déjà bilingue et bientôt multilingue.
« Le patois créole demeure aujourd’hui le principal moyen d’expression du peuple mauricien, représentant en bien des aspects le prolongement linguistique de la francophonie. L’arrivée des Anglais au début du XIXe siècle n’a que superficiellement modifié l’ordre des choses, introduisant principalement une dimension administrative. L’utilisation de l’anglais était essentiellement pratique, en tant que langue internationale, tout en servant de véhicule relativement neutre parmi les nombreuses langues parlées sur l’île. L’immigration des Indiens et d’un certain nombre de Chinois vers le milieu du XIXe siècle a enrichi la société mauricienne de nouveaux éléments culturels et linguistiques. Ainsi, une gestation plurilingue et pluriculturelle étonnante a réuni les plus grandes civilisations de la terre : africaine, chinoise, européenne, indienne, ainsi que les religions les plus importantes : le Christianisme, l’Hindouisme, l’Islam. L’accès aux différentes cultures, traditions et religions à Maurice se fait souvent par le biais du français. Cette langue joue ainsi un rôle crucial dans la formation d’une identité nationale mauricienne, étant la langue de prédilection pour la société éclairée, comprenant la plupart des écrivains, poètes et penseurs du pays, tout en étant solidement enracinée dans le patois créole, langue populaire par excellence. »
Elle participe au développement et à l’épanouissement des civilisations et des cultures implantées à Maurice. La littérature mauricienne s’inspire toujours, et même plus qu’avant, des grandes civilisations venues apporter dans ce carrefour de l’histoire et des migrations leurs richesses et leurs diversités. Il est intéressant de souligner que le thème du Sommet de la Francophonie en 1993 à Maurice s’intitulait : « l’Unité dans la diversité ». C’est précisément à Maurice qu’a été prise, à l’unanimité des délégués présents, la décision politique importante de soutenir « l’exception culturelle », marquant ainsi le premier pas vers l’adoption par l’UNESCO en 2005 de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. À cet égard, Maurice demeure un espace de liberté contribuant par l’affirmation de ses valeurs culturelles à l’édification d’une Nation. Ces diversités, convergentes vers la complémentarité, font des Mauriciens des êtres en perpétuelle mutation. Cela leur permet d’éviter l’uniformisation anglo-saxonne qui menace le monde et qui ne peut être que débilitante sur le plan intellectuel et nocive sur le plan culturel. Des réactions salutaires à cette hégémonie se manifestent heureusement en Amérique latine, en Europe, en Chine et dans les États islamiques.
Le redéploiement des alliances internationales ainsi que des liaisons maritimes, aériennes et satellitaires à la fin du siècle dernier a maintenu Maurice et les Mascareignes, ainsi que les Comores, Madagascar et les Seychelles, dans ce courant historico-culturel qui date du XVIIIe siècle. Par ses accords de coopération avec l’Europe et plus particulièrement avec la France, par sa position géographique à proximité de la route du pétrole et des grands courants commerciaux en mer indienne, Maurice se retrouve, comme à l’époque de la route des épices il y a trois siècles, impliquée dans les préoccupations géopolitiques des Nations. C’est dans ce grand concert planétaire que les moyens de communication facilitent et intensifient la connaissance des langues, conférant un avantage certain à ceux qui les maîtrisent. Les Mauriciens en sont conscients. À travers tout le territoire, des écoles, collèges, lycées, universités, centres techniques et culturels utilisent et enseignent le français. Journaux, revues, conférences, programmes radio et télévision, films de cinéma accentuent la présence de la langue dans la vie quotidienne. Le français dans ce pays métissé qu’est l’île Maurice joue plus qu’un rôle culturel. Il a des fonctions nationales, éducatives, institutionnelles, sociales et même politiques.